MPPP.Ch.5.S.1-145CPC

.

 

Section 1

 

L’OBTENTION DE PREUVES AVANT TOUT PROCES

 

 

Le Code de procédure civile permet d’obtenir ou de préserver, sous le contrôle du juge, les preuves utiles dans un procès. Ainsi, l’article 145 CPC dispose que : «  S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé « .

● Le juge des référés est compétent pour ordonner à la demande de tout intéressé une mesure d’instruction s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Le salarié a un intérêt légitime à solliciter une mesure d’instruction lorsque l’employeur est le seul à détenir des pièces permettant éventuellement au salarié d’étayer une demande fondée sur une discrimination syndicale.

Conseil de prud’hommes Paris, référé départage, 15 juillet 2008
Attendu que l’article 145 du Code de procédure civile dispose que « Sil existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé’:
Que le demandeur a un intérêt légitime à solliciter cette mesure d’expertise dès lors que l’employeur est le seul à détenir des pièces lui permettant éventuellement à étayer une demande fondée sur une discrimination syndicale.
Que la société défenderesse ne peut opposer au demandeur les dispositions de l’article 146 du Code de procédure civile dès lors que celles-ci ne sont applicables qu’aux mesures d’instruction ordonnées en cours d’un procès et non à celles ordonnées par le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Qu’il sera en conséquence fait droit à la demande d’expertise, ainsi qu’il sera dit au dispositif de la présente ordonnance, étant rappelé qu’il n’y a pas lieu de couvrir de l’anonymat les pièces qui seront remises à l’expert dès lors que celles-ci ne sont pas couvertes par un secret professionnel quelconque. [..]
PAR CES MOTIFS:
Ordonne une expertise.
Commet pour y procéder avec la mission suivante : M. Xavier F.
-entendre les parties
-se faire communiquer la liste de l’ensemble des salariés embauchés par la société Hutchinson entre 1977 et 1982 aux coefficients 130 et 140,
-se faire communiquer l’ensemble des documents retraçant l’évolution de carrière de ces salariés,
– décrire dans son rapport l’évolution de leur classification et de leur rémunération et indiquer leur classification et rémunération actuelles ou celles dont ils bénéficiaient au moment de leur départ de l’entreprise,
– se faire communiquer la liste de l’ensemble des salariés actuellement en poste au sein de la société Hutchinson bénéficiant des coefficients 150 et 160,
-se faire communiquer l’ensemble des documents retraçant l’évolution de carrière de ces salariés
-décrire dans son rapport l’évolution de leur classification et de leur rémunération et indiquer leur ancienneté […](Conseil de prud’hommes Paris, référé départage, 15 juillet 2008, Ferreira c/ Sté Hutchinson, RG n̊ R 08/00996).

 

La procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’est pas limitée à la conservation des preuves et peut aussi tendre à leur établissement.

 C’est donc dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel, qui n’était pas tenue de caractériser la légitimité de la mesure au regard des différents fondements juridiques de l’action en vue de laquelle elle était sollicitée, a retenu qu’une partie justifiait d’un motif légitime à obtenir la communication de documents lui permettant d’apprécier l’importance des manquements imputés à une autre partie avant d’engager une action en responsabilité à son encontre (2ème Civ. – 6 novembre 2008. N° 07-17.398 BICC 698 N°403).

 

L’employeur peut demander communication du relevé de carrière du salarié dont il envisage la mise à la retraite

 

● L’employeur ayant la charge de rapporter la preuve que le salarié dont il envisage la mise à la retraite anticipée, en application des stipulations d’une convention collective l’y autorisant, remplit les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein et cette preuve ne pouvant résulter que d’un relevé de carrière que le salarié est seul à pouvoir détenir, il existe un motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, d’ordonner la communication de ce document. Viole ce texte, ainsi que l’article 9 du code civil, la cour d’appel qui refuse d’ordonner cette communication aux motifs qu’il comporte des éléments relatifs aux salaires de l’intéressé et relève de la vie privée. (Soc. – 13 mai 2009. N° 08-41.826. – BICC 710 N̊1405).

 Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 13 mai 2009
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 9 du code civil et 145 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, statuant en référé, que Mme X… a été engagée à compter du 28 mars 1978 par la société Air France (la société) ; qu’en 2006, la salariée étant alors âgée de 61 ans, la société a envisagé de prononcer sa mise à la retraite, en application des dispositions d’un accord de branche du 13 avril 2005 ; qu’ayant demandé en vain à Mme X… de lui communiquer son relevé de carrière aux fins de s’assurer qu’elle pouvait bénéficier d’une retraite à taux plein, la société a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la communication de ce document ;
Attendu que pour dire n’y avoir lieu à référé, l’arrêt retient que l’accord du 13 avril 2005 ne présente aucune disposition particulière imposant au salarié de justifier par des documents personnels de sa situation au regard de ses droits à retraite, que le relevé de carrière sollicité par l’employeur, en ce qu’il comporte des éléments relatifs aux salaires de l’intéressée, constitue à l’évidence un document confidentiel relevant de la vie privée de celle-ci dont elle seule peut disposer et qu’en l’espèce, elle était bien fondée à en refuser la production, en l’absence de disposition particulière venant contredire la protection instituée par l’article 9 du code civil ;
Attendu cependant que l’employeur ayant la charge de rapporter la preuve que le salarié dont il envisage la mise à la retraite anticipée en application des stipulations d’une convention collective l’y autorisant remplit les conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein et cette preuve ne pouvant résulter que d’un relevé de carrière que le salarié est seul à pouvoir détenir, il existait un motif légitime d’ordonner la communication demandée ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 9 du code civil et, par refus d’application, l’article 145 du code de procédure civile ;
Vu l’article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 21 février 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Ordonne à Mme X… de communiquer à la société Air France, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, son relevé de carrière ;
Condamne Mme X… aux dépens de cassation et à ceux afférents à l’instance au fond ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille neuf.

 

 

● L’existence d’un litige potentiel, qui ne constitue pas une condition de recevabilité de la demande formée en application de l’article 145 du code de procédure civile mais une condition de son succès, s’apprécie à la date à laquelle le juge statue. (Cass.3ème Civ. – 8 avril 2010. N° 09-10.226. – BICC727 N°1337).

● Le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

La procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’étant pas limitée à la conservation des preuves et pouvant aussi tendre à leur établissement, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel a retenu que les salariés justifiaient d’un motif légitime à obtenir la communication de documents nécessaires à la protection de leurs droits, dont seul l’employeur disposait et qu’il refusait de communiquer. (Soc. – 19 décembre 2012. N° 10-20.526 et 10-20.528

 

Arrêt de la Chambre sociale de la cour de cassation du 19 décembre 2012 – N̊ de pourvoi: 10-20526 10-20528
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n̊ T 10-20. 526 et V 10-20. 528 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Paris, 20 mai 2010), que Mmes X…et Y…ont été engagées par la société nationale Radio France en qualité de régisseur de production et occupent l’une et l’autre, depuis le 1er janvier 1987, un poste de chargée de réalisation radio ; qu’elles sont classées en groupe de qualification B. 21 de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelles ; que soutenant que de nombreux chargés de réalisation placés dans une situation identique perçoivent une rémunération plus importante que la leur et sont classés dans une catégorie supérieure, elles ont saisi la juridiction prud’homale de référé d’une demande tendant, sur le fondement du motif légitime prévu par l’article 145 du code de procédure civile, à obtenir la communication par l’employeur de différents éléments d’information concernant ces autres salariés et susceptibles, selon elles, d’établir la discrimination dont elles se plaignent ;
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :
Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ces moyens et griefs qui ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que la société Radio France fait grief à l’arrêt de lui ordonner de communiquer aux salariées, avant tout procès et sous astreinte, les contrats de travail, avenants, bulletins de paie de certains autres salariés de l’entreprise, ainsi que le montant des primes de sujétion distribuées depuis 2000 à ces mêmes personnes, les tableaux d’avancement et de promotion des chargés de réalisation travaillant dans la même société, alors, selon le moyen :
1̊/ qu’en vertu de l’article L. 1134-1 du code du travail, toute action fondée sur une discrimination n’est recevable que si le salarié est en mesure de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence de celle-ci ; qu’en autorisant le salarié à obtenir, avant tout procès, la communication des pièces destinées, non pas à confirmer les présomptions de discrimination nécessaires à l’introduction de son action, mais simplement à révéler l’existence d’une éventuelle disparité de traitement, ce qui ne correspond pas  » à une preuve dont pourrait dépendre la solution du litige « ,
mais à une preuve nécessaire à l’introduction même de l’action, la cour d’appel a inversé les règles particulières de la preuve en matière de discrimination en violation tant du texte susvisé que de l’article 145 du code de procédure civile;
2̊/ que n’est pas légalement admissible au regard, ni de l’article 9 du code civil, ni de l’article L. 1121-1 du code du travail, ni de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme, la mesure d’instruction ordonnant, avant toute procédure au fond, la communication des contrats de travail, bulletins de paie, calcul des primes et tableaux des avancements et promotions de douze salariés de la société Radio France entièrement étrangers au litige, au mépris du respect dû, tant à leur vie privée qu’au secret des affaires ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes et convention susvisées ainsi que, par fausse application, l’article 145 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le respect de la vie personnelle du salarié et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées ;
Et attendu que la procédure prévue par l’article 145 du code de procédure civile n’étant pas limitée à la conservation des preuves et pouvant aussi tendre à leur établissement, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a retenu que les salariées justifiaient d’un motif légitime à obtenir la communication de documents nécessaires à la protection de leurs droits, dont seul l’employeur disposait et qu’il refusait de communiquer ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société nationale de radiodiffusion Radio France aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mmes X…et Y…la somme globale de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille douze.

 

 

L’application de l”article 145 du code de procédure civile ne renvoie à aucune autre disposition

● L’article 146 du code de procédure civile est sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l’article 145 du même code.

La mesure d’instruction sollicitée avant tout procès relève des seules dispositions de ce dernier texte. (Cass.2ème Civ. – 10 mars 2011. N° 10-11.732. – BICC746 N° 927).

==>>vers la section 2

==>>retour au sommaire du chapitre

 

Laisser un commentaire